lundi 14 mars 2016

DE VISU (Jim Crace - Rivages)

Loin de l'engouement pour les intrigues post-apocalyptiques et de la furie des invasions zombiesques, le discret Jim Crace livrait en 2009 sa vision de l'après fin du monde dans un roman sans esbroufe mais prenant, plus proche de Malevil ou La Route que de Mad Max. Retour sur un titre injustement méconnu...


Franklin et Margaret se rencontrent un soir de fin du monde splendide et sépulcral. A perte de vue, une Amérique revenue au Moyen Âge : plus de gouvernement, ni d'usines ni de lois hormis celle du plus fort. Les pillards dévastent tout sur leur passage, les migrants ne rêvent que d'une chose, gagner la mer qu'ils appellent "le puissant fleuve à une seule rive" et quitter le continent pour une terre promise aux rues pavées d'or...

ALORS ?

Jim Crace
De Visu (The Pesthouse, titre original) débute par une scène particulièrement impressionnante : suite à un éboulement, les gaz toxiques retenus au fond d'un lac s'échappent à la surface et, sans un bruit, déciment la population endormie d'une petite ville. Les premiers mots du livre : "Tous moururent pendant la nuit." Ce morceau de bravoure donne faussement le ton du livre : De Visu n'est pas un roman spectaculaire et l'Amérique devastée qui y est dépeinte affiche d'abord un visage morne, presque banal. L'instinct de survie commande les hommes : la peur, la lâcheté habitent les esprits, dans un monde violent et résigné. Nous sommes revenus au Far West (la comparaison vient immédiatement à l'esprit) mais sans l'or doré des légendes ni les grandes épopées aventurières. Jim Crace a d'abord misé sur ses deux personnages, deux âmes perdues qui vont se retrouver, s'entraider et, finalement, s'aimer. Cette histoire d'amour lente, empreinte de pudeur, est sans cesse bousculée par les embûches que Jim Crace sème sur leur route : fermiers cupides, pillards en quête d'esclaves, secte d'illuminés (La Sainte Arche et ses gourous immobiles),... Le périple de Franklin et Margaret tient en haleine et, jusqu'au bout, laisse planer un doute angoissant : comment peuvent-ils bien s'en sortir alors que tout est déjà perdu ? Où aller, vers quelle terre promise ? Franklin et Margaret vont se charger d'apporter eux-mêmes une réponse aussi simple qu'inattendue à cette question. En effet, la fin imaginée par Jim Crace est un joli pied de nez aux rêves et aux ambitions qui rendent fous. Et, d'une certaine façon, une belle leçon sur la vie et le bonheur...