vendredi 17 avril 2009

LES DERNIERS LOUPS : Francisco Sabaté, Julio Llamazares

C'est un épisode méconnu de l'histoire espagnole mais la lutte anti-franquiste s'est prolongée en Espagne bien après l'écrasante victoire des troupes nationales. Jusqu'au milieu des années 50, des poches de résistance ont subsisté un peu partout dans le pays ; des maquis constitués de poignées d'hommes déterminées se sont jurés de continuer la lutte et de ne jamais accepter le pouvoir de Franco. Présentés comme des terroristes ou des criminels de droit commun par la propagande du régime, ils ont mené une lutte désespéré et souvent fatale contre un ennemi omnipotent qui n'a eu de cesse de traquer cette "résistance" aussi courageuse qu'improbable. Des figures se sont distinguées dans ce combat dont celle de Francisco Sabaté, dit "El Quico", figure quasi légendaire du mouvement anarcho-syndicaliste. Antonio Téllez Sola (lui-même d'obédience anarchiste et ex-guerillero) lui a consacré un livre passionnant qui relate ses années de clandestinité et de lutte, entre 1945 et 1960. Attention, si l'intérêt historique est indéniable, Sabaté, guérilla urbaine en Espagne (Editions Repères-Silena) est à prendre avec des pincettes : fasciné par son sujet, Téllez Sola s'est défait de toute objectivité, ses élans hagiographiques prêtent parfois à sourire et on devine (forcément) que Sabaté n'était sans doute pas le magnifique brigand anti-fasciste, sans peur et sans reproche qu'il décrit. Mais passons, Sabaté se lit comme un formidable thriller politico-policier sur fond d'Espagne tétanisée par l'ogre franquiste. Tandis que police, guardia civil et armée multiplient exécutions sommaires, rafles et tortures pour erradiquer cette résistance intérieure, Sabaté et ses amis posent des bombes, braquent des banques, distribuent des tracts, exécutent des traîtres à la cause et tentent par tous les moyens d'instaurer "un climat insurrectionnel". Mais l'énergie conjuguée del Quico  et de son biographe ne suffisent pas à renverser l'histoire et la fougue des débuts (où l'on croit encore que Franco peut être renversé) cède progressivement la place à une sorte de course éperdue vers la mort : les camarades finissent tous par tomber, les politiques en exil lâchent ou renient la lutte et, surtout, la terrible évidence se fait jour : rien ni personne ne peut abattre un régime appelé à durer (sinon la maladie, comme ce sera effectivement le cas vingt ans plus tard). L'absurde s'invite alors dans la destinée de ces résistants fougueux: El Quico, c'est Sisyphe derrière son roc, comme si l'Histoire (ô combien cruelle) avait condamné Sabaté et ses acolytes au purgatoire des illusions et des rêves brisés. On voit alors ces hommes se transformer en fantômes, en loups errant ou (pire) en morts-vivants. 
Lune de loups (éditions Verdier) brillantissime roman de Julio Llamazares, ne fait pas d'autre constat : ses «héros » sont les alter ego de Sabaté, des fugitifs refugiés dans les monts Cantabriques, obligés de se terrer dans grottes pour échapper à la mort. Ici, nulle gloire, nul héroïsme : Llamazares s'est inspiré de l'histoire vraie de quatre résistants pour décrire la solitude, l'angoisse, le désespoir puis la folie qui gagne des hommes réduits à l'état de bêtes traquées. De 1937 à 1946, ils tentent d'organiser leur survie mais leur destin semble scellé.  Llamazares signe là quelques pages bouleversantes : la descente de Angel dans son village, venu visiter son père mourant à la barbe de la guardia civil ; l'emprise glacée de la nature sur les hommes, décrite dans un style sublime ; la mort de Ramiro, quasi sacrificielle... Curieusement, la fiction de Llamazares paraît souvent plus proche du réel que le document de Téllez Sola : elle décrit un monde où ne subsiste ni espoir ni foi et ses protagonistes l'ont bien compris. Ne reste plus qu'à mourir ou disparaître, comme le fera le dernier survivant, en partance vers un avenir aussi angoissant qu'incertain...

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